Il y a les métiers « vocation » et les autres. Pourtant, la voix douce en blouse blanche qui vous prend la main pendant une insomnie, a aussi une vie après l'hôpital. Depuis près de 10 ans, Muriel est infirmière de nuit, elle a 4 enfants, le sens de l'engagement et un blog qu'elle alimente tous les jours depuis octobre 2005, le bien nommé femme active ou le journal d'une mère débordée. Rencontre avec une de ces héroïnes du quotidien.

Quand je t'ai rencontrée pour la première fois, tu as fais ta Cendrillon en partant à 20 heures pour aller travailler. Comment on gère une famille avec des horaires de nuit ?

Mon planning est complètement différent de celui de la plupart des gens qui travaillent 5 jours sur 7. Je travaille de 21h à 7h à l'hôpital, soit 10h. J'ai 14 nuits en moyenne à faire chaque mois, sachant qu'une semaine sur 2 je travaille 5 nuits (dont un week-end) et que la semaine suivante, je travaille 2 nuits. Mon planning est établi plusieurs mois à l'avance donc, affiché sur le calendrier familial.

Contrairement à pas mal de mes collègues, je n'ai pas rencontré mon mari sur mon lieu de travail. Nous avons des métiers différents. Quand j'ai commencé à travailler de nuit, nous avons établi dès des règles de vie. Les nuits où je travaille, il essaie de rentrer un peu plus tôt afin que je puisse lui faire des "transmissions". Donc 14 nuits par mois, c'est lui qui gère le coucher, les cauchemars, les caprices, les fièvres…

Et quand les enfants sont petits, ça doit être pire que le casse-tête habituel pour trouver un mode de garde avec des horaires irréguliers, non ?

J'ai commencé le travail de nuit en 2001 après la naissance de mon 3è enfant. Mon conjoint étant à la maison toutes les nuits, il n'y a pas réellement de problèmes de garde. Le vrai problème de la maman qui travaille la nuit, c'est de pouvoir dormir la journée et ça personne n'y pense ! Pour chacune, c'est du système D et je ne parle pas des mamans célibataires ou divorcées avec enfant(s).

Tu es infirmière. Est-ce que ça t'est utile au quotidien quand les enfants sont malades, qu'ils se font mal. Ou est-ce que tu paniques comme toutes les mamans ?

On voit tant de choses terribles à l'hôpital qu'on a plutôt tendance à relativiser voire minimiser : par exemple, j'attends qu'un enfant ait 3 jours de fièvre avant d'aller voir le médecin… Je me suis aperçue très tôt de cette "déformation professionnelle" donc je fais d'abord confiance à mon instinct et à celui de mon mari. S'il me dit qu'il vaut mieux aller à l'hôpital, on y va : je ne discute même pas ! Je ne panique pas (ou seulement à l'intérieur) car dans ces cas-là, je redeviens une infirmière avec des réflexes professionnels.

Dans ton blog, tu parles souvent de tes lectures, de tes sorties ciné. Tu as le temps de faire ça et d'avoir un blog avec 4 enfants. C'est parce qu'ils sont grands ou que tu es décidément une super maman ?

Ni l'un ni l'autre ! Un des inconvénients du travail de nuit, c'est qu'au fil des années on dort de moins en moins. Je dors en moyenne 3-4h entre deux nuits de travail voire pas du tout. Mes enfants mangent à la cantine au moins 2 jours par semaine : cela m'évite bien des trajets à l'école.  Je ne suis pas une fan de ménage, je fais de la lessive tous les jours mais j'ai un sèche-linge, ce qui limite le repassage. Je fais les grosses courses tous les 15 jours et je me fais livrer des paniers bio. J'habite une ville de banlieue à 200m d'un grand centre commercial où il y a un complexe de cinémas et une librairie. Cette semaine par exemple, j'ai travaillé lundi et mardi. Cela me laisse 5 jours pour aller voir un film, du temps pour lire.

Si le travail de nuit a des inconvénients en matière de santé (manque de sommeil, prise de poids, problème de thyroïde, diminution de l'espérance de vie), il a aussi l'avantage d'être quasi idéal pour une maman : je peux accompagner mes enfants à l'école tous les matins, je peux déjeuner avec eux le midi, je suis présente à 16h30 pour les devoirs, les leçons, les activités extra-scolaires. En travaillant 2 week-ends par mois (vendredi-samedi-dimanche), je suis très présente en semaine. Parfois, mes enfants réagissent comme si j'étais toujours à la maison alors je dois leur rappeler que pendant qu'ils dorment, je fais des prises de sang, je surveille des perfusions, des chimiothérapies…

Mais, le travail de nuit isole. Je ne peux pas m'investir au niveau associatif autant que je le voudrais et je dois planifier le moindre dîner au moins un mois à l'avance. Sans parler des fêtes de fin d'année : travailler le 24 et le 25 décembre quand on a des enfants, c'est horrible même si on fait un très beau métier. Donc je ne suis pas une super maman, j'essaie juste de concilier au mieux ma vie professionnelle et ma vie de famille. Mon métier me permet de le faire sans trop de casse. Ce qui ne sera pas le cas pour mes jeunes collègues à cause de la réforme hospitalière et de la mise en place de la grande équipe.

 

Merci Muriel ! Pour en savoir plus sur la réforme de l'h&oc
irc;pital :
lire cet article du Point et cet article du Monde.