Il s’en est fallu de peu.
Combien de temps est-ce que cela a pu durer ? Une minute, peut-être cinq, dix peut-être. Beaucoup plus au regard du nombre d’idées noires que j’ai dû chasser. Je pense à cette scène insoutenable des Enfants du plastique où la mère voit passer la civière transportant sa petite fille sans vie, en rentrant chez elle. Je pense à ces voisins outrés aux discours péremptoires qui témoignent au lendemain d’un fait divers « Mais comment peut-on faire cela ? » demandent-ils, je repense à tous ces articles que je n’ai pas voulu lire sur les accidents domestiques.
Je ne pense plus, je cours hors d’haleine à la recherche de mon trésor en criant ces trois syllabes auxquelles seul un long silence fait écho. « Jo-sé-phine ». Combien de fois l’ai-je appelé, répété, hurlé. Un cri animal de louve qui cherche son enfant, dans les placards, sous les tables, les lits. Nulle part de petite fille.
La piscine. « Pourquoi on n’a pas mis ce putain de cadenas ? ». Pas de fillette, ni de petit corps. Je ne respire plus. « J’ai perdu ma fille ». « Appeler mon mari ? ». « Ne pas perdre de temps »
La route. « Il est ouvert pour une fois ce putain de portail » (on est vulgaire quand on panique). L’entrepreneur pour qui j’avais ouvert le portail, celui avec lequel j’avais discuté un quart d’heure, ma fille alors accrochée à mes jambes, court sur la route. J’explore l’autre côté du jardin, je tourne en rond, suivie du grand frère en pleurs. Et j’entends « La voiture, la voiture ».
Quoi la voiture ? La route, la voiture, un accident ?
Non. Elle est là, attachée dans son siège-auto. Petite fille sage qui attend d’aller acheter le pain pour les sandwichs du pique-nique et les chips de papa, celles qui ont une drôle de forme. Elle est là, dans la voiture pas fermée à cause de cette putain de serrure qui déconne. Elle est là et elle aurait pu y rester longtemps.
Je pense aux quelques secondes qui suffisent pour faire les gros titres. Je ne gronde pas j’embrasse de tout mon coeur, auquel il faudra quelques heures pour reprendre un rythme normal.
Aux voisins outrés aux discours péremptoires, qui se demandent »Mais comment peut-on faire cela ? » et que l’on interviewe les lendemains de faits divers. Je réponds : on fait comme cela, sauf que parfois, la piscine, la route, la voiture…
PS : sans doute le billet le plus personnel jamais écrit sur ce blog. Et si je le classe dans la rubrique Mauvaise mère, je n’y mets cette fois aucune ironie. Il y a des choses avec lesquelles on ne rigole pas.